Développer l’impertinence constructive à la lumière de Mary Parker Follett

Rédigé le 28/07/2025
JC CASALEGNO


 L’urgence d’une parole vivante dans les organisations

Dans un monde du travail souvent régi par la norme, la prudence hiérarchique et le conformisme silencieux, le besoin d’une parole impertinente mais constructive se fait de plus en plus sentir. Il ne s’agit pas d’encourager la provocation gratuite, mais d’ouvrir un espace pour des expressions critiques, créatives et courageuses, au service du collectif.

Cette idée entre en résonance avec la pensée novatrice de Mary Parker Follett (1868-1933), figure fondatrice du management participatif, qui plaidait pour des rapports authentiques, non autoritaires, dans les organisations. Pour elle, le conflit, loin d’être un danger, est une opportunité de croissance. L’impertinence constructive s’inscrit dans cette lignée : oser dire ce qui dérange, sans détruire ce qui relie.
 

1. Qu’est-ce que l’impertinence constructive ?

L’impertinence constructive désigne la capacité à :

  • remettre en question des règles implicites ou des décisions figées,
  • nommer les tensions ou les incohérences,
  • proposer d’autres manières de faire, sans posture d’hostilité ou d’arrogance.

Elle suppose un dosage subtil entre franchise et respect, entre affirmation de soi et intérêt général. Elle rompt avec la complaisance silencieuse autant qu’avec la critique stérile. Elle crée des espaces d’authenticité, où la parole devient levier de transformation.
 

2. Mary Parker Follett : penser l’organisation comme un processus relationnel

Follett défendait une vision radicalement relationnelle du management :

  • Le pouvoir ne doit pas être "sur" l’autre, mais "avec" l’autre (power with vs. power over).
  • Le conflit n’est pas à supprimer mais à intégrer de manière créative.
  • L’autorité ne découle pas du statut mais de la capacité à susciter la coopération.

Dans cette perspective, une organisation vivante est une organisation dialogique. L’impertinence constructive s’y inscrit comme moteur de dialogue, refusant la passivité sans basculer dans la confrontation.

« La meilleure solution n’est pas celle que l’un impose à l’autre, mais celle qui naît d’une construction conjointe » (Mary P. Follett).
 

3. Les conditions de l’impertinence constructive

Pour que l’impertinence soit un levier et non un poison, certaines conditions systémiques doivent être réunies :

  • Un climat psychologique sécurisé : les collaborateurs doivent se sentir autorisés à exprimer des désaccords ou des idées atypiques, sans craindre d’être disqualifiés.
  • Une culture du conflit fécond : le désaccord n’est pas un problème, mais un moment structurant de la dynamique collective.
  • Un apprentissage de l’écoute mutuelle : savoir accueillir une parole qui bouscule demande une posture managériale fine, entre contenance et ouverture.
  • Des espaces formalisés de confrontation créative : ateliers, rétroactions inversées, design fiction, feedback 360°, world cafés… Autant de dispositifs où l’impertinence peut s’exprimer sans éclats destructeurs.
     

4. L’enjeu de rapports authentiques dans les organisations:

Mary Parker Follett insistait sur l’importance de relations authentiques, où les personnes ne jouent pas un rôle figé mais s’engagent comme sujets. L’impertinence constructive devient alors :

  • une manière de résister à la bureaucratisation de la parole,
  • une invitation à réinvestir le réel, en donnant voix aux expériences vécues, aux ressentis et aux intuitions.

L’authenticité, pour Follett, n’est pas l’expression brute de soi, mais une co-création de sens à partir de positions différentes. Dire « non », proposer un angle neuf, refuser une norme dysfonctionnelle, devient un acte de contribution au devenir du collectif.
 

5. Cultiver l’impertinence constructive : un défi managérial

Développer cette posture demande :

  • du courage individuel, pour oser formuler une parole minoritaire,
  • du soutien collectif, pour valoriser ces expressions,
  • une autorité facilitatrice, capable de contenir, canaliser, transformer.

Le rôle du manager n’est plus de faire taire les tensions, mais de les rendre audibles et traversables, en accompagnant l’émergence de solutions partagées. Il devient gardien d’un espace de pensée vivante.
 

Vers une écologie des rapports humains au travail

L’impertinence constructive n’est pas une option marginale : elle est le signe de vitalité d’un collectif. En refusant le confort du consensus artificiel, elle ouvre la voie à l’intelligence collective, à l’innovation, et à une forme de démocratie organisationnelle.

Mary Parker Follett l’avait pressenti : l’organisation de demain ne sera pas une mécanique hiérarchique, mais un organisme dialogique. À nous de créer les conditions pour que la parole circule, que les idées s’affrontent sans se nier, et que l’authenticité devienne une ressource, non une menace