Dans son rapport Transition(s) 2050, l’ADEME (Agence de la Transition Écologique) propose une lecture prospective du futur énergétique et sociétal de la France à l’horizon 2050. Son ambition : offrir un cadre de réflexion ouvert et structurant pour penser les multiples chemins vers la neutralité carbone. Loin d’être des prédictions, ces quatre scénarios décrivent des futurs possibles qui interrogent à la fois nos modes de production, nos manières d’habiter, de consommer, de coopérer… et nos valeurs collectives.
Tous visent un objectif commun : réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à atteindre l’équilibre entre les émissions et la capacité d’absorption des puits de carbone naturels et technologiques. Mais chacun emprunte une trajectoire différente.
Scénario 1 – Génération frugale : sobriété radicale et changement culturel profond
Ce scénario mise sur une transformation volontaire des modes de vie : forte réduction des consommations de biens, d’énergie, de mobilité et de ressources. La société s’organise autour de la frugalité choisie, de la simplicité volontaire, et de la réhabilitation de valeurs de coopération, de sobriété et d’entraide.
Les besoins sont repensés à la baisse, mais avec une attention accrue à la qualité : « moins mais mieux ». La demande énergétique est divisée par deux, l’industrie se concentre sur la réparation, le réemploi et la relocalisation. Ce scénario repose avant tout sur une mutation des représentations sociales et des finalités économiques.
Scénario 2 – Coopérations territoriales : transition par la gouvernance locale et les communs
Le second scénario repose sur le renforcement de la gouvernance territoriale, avec des logiques de coopération décentralisée, de circuits courts, d’économie sociale et solidaire, et d’initiatives citoyennes ancrées localement. Il valorise l’autonomie des territoires, leur capacité à s’auto-organiser, à expérimenter, à produire localement une énergie, une alimentation, des services plus résilients.
Plutôt qu’une sobriété imposée ou radicale, il propose une modération régulée par la participation : le choix du durable devient une décision collective. La transition s’y fait dans le cadre d’une démocratie locale renforcée, avec un équilibre entre innovations sociales et solutions techniques sobres.
Scénario 3 – Technologies vertes : le pari sur l’innovation et l’efficacité
Ce scénario se rapproche du modèle actuel, mais en misant massivement sur la substitution technologique : électrification des usages, développement des énergies renouvelables, déploiement des réseaux intelligents (smart grids), technologies de capture et stockage du carbone, hydrogène bas carbone, etc.
Les comportements changent peu ; ce sont les technologies qui transforment la donne. L’intensité énergétique diminue grâce à l’efficacité, sans remise en question des logiques de croissance. C’est une transition par l’innovation industrielle, avec une forte mobilisation des investissements publics et privés.
Scénario 4 – Pari réparateur : maintenir la croissance, compenser les impacts
Ce scénario est le plus conservateur du point de vue des usages et du modèle économique. Il tente de concilier maintien de la croissance et transition environnementale via des solutions de rupture : géo-ingénierie, captage massif de CO₂, bioéconomie intensive, généralisation de la compensation carbone. La transformation est confiée aux technologies les plus avancées, y compris celles qui comportent de forts risques écosystémiques ou éthiques.
Peu de changements dans les modes de vie, mais une dépendance accrue à l’innovation de rattrapage. Ce scénario soulève des questions cruciales de justice environnementale, d’acceptabilité sociale et de soutenabilité à long terme.
Quatre visions du futur, quatre choix de société
Au-delà des aspects techniques, ces scénarios donnent à voir des visions contrastées du monde de demain :
- la frugalité et la modération volontaire (S1),
- la coopération territoriale et sociale (S2),
- la technocratie verte (S3),
- ou encore la fuite en avant réparatrice (S4).
Ils éclairent les arbitrages entre sobriété, technologie, gouvernance, justice sociale et résilience. Aucun n’est présenté comme « le » bon modèle : chacun met en tension différentes valeurs, différentes acceptabilités, différents niveaux de transformation.
Conclusion : une invitation à la délibération collective
Le rapport de l’ADEME n’est pas un plan d’action, mais un outil politique au sens noble : il invite les citoyens, les entreprises, les élus, les chercheurs et les organisations à délibérer sur les futurs souhaitables.
Car derrière chaque scénario se cache une question essentielle : Quel monde voulons-nous construire, ensemble, d’ici 2050 ?